Au milieu du XIVe siècle, les formes de piété dans l’occident chrétien évoluent, du fait de l’influence grandissante des Franciscains et du traumatisme de la peste noire. La renoncement aux richesses, la pénitence, l’imitation d’un Christ pauvre et souffrant sont, pour beaucoup de croyants, la meilleure voie pour gagner le Salut. Les Franciscains favorisent le développement de communautés de laïcs, les tertiaires ou fraternités du tiers ordre franciscain. Ces hommes et ces femmes y appliquent les préceptes d’humilité et de pauvreté prônés par saint François d’Assise. Dans une Italie décimée par la peste et minée par les conflits, ces communautés versent souvent dans la constestation de l’ordre social et dérivent parfois vers l’hérésie.
La Corse, région pauvre, mal encadrée par le clergé local et soumise à l’autorité de petits seigneurs batailleurs, est particulièrement réceptive à la prédication franciscaine. En 1352, se constitue à Carbini, une communauté de tertiaires franciscains qui gardera la surnom de « Giovannali ». Dirigée par un certain Rostaurius, la communauté entre en conflit avec l’évêque d’Aléria qui a autorité sur la piève de Carbini et reproche aux Giovannali de prendre trop de libertés avec le dogme. D’abord soutenue par l’évêque de Pise, la communauté semble avoir basculé dans l’hérésie, pratiquant des rites initiatiques « par l ‘eau suprême » non reconnue par l’Eglise. Selon le chroniqueur Giovanni della Grossa (qui écrit un siècle après les faits) le pape aurait alors prêché une croisade contre la secte. Les seigneurs locaux se seraient chargés de la besogne, exterminant les hérétiques réfugiés en Alesani. Giovanni della Grossa est notre seule source sur la croisade, en revanche il existe de nombreux documents attestant du procès entre les Giovannali et l’évêque d’Aléria, comme de l’envoi par le pape d’inquisiteurs en Corse dans les années 1370. Cette rareté des sources a favorisé la constitution d’une légende noire des Giovannali, d’abord accusés des pires turpitudes puis comparés aux Cathares ou glorifiés comme martyrs d’une société locale égalitaire face à une papauté fanatique et corrompue. Au delà de ces élucubrations, l’épisode des Giovannali, version locale d’un mouvement bien plus large, révèle surtout les tensions internes de la société corse à la veille de la grande révolte anti-seigneuriale de 1357-58.
-Extrait de la brochure sur l’Alta Rocca, CRDP de Corse-
C'est au XIXe siècle que l'histoire de Giovannali va ressurgir, après un silence de plusieurs siècles. Prosper Mérimée, en tournée d'inspection pour les monuments historisques, découvre Carbini.
Il avait préparé son voyage en lisant, notamment, les chroniques de Giovanni della Grossa. Il s'intéresse aussi à la tradition des Giovannali à partir de l'église de San Quilico et du clocher à moitiè détruit. L'église de Carbini sera le premier monument classé par lui en Corse.
Commencent alors des recherches sur cette secte que les chroniqueurs du Moyen Age ont accusée, à tort, des pires pratiques scandaleuses. Des documents découverts aux Archives de Pise et au Vatican vont commencer à éclairer un mouvement que l’on connaît encore que très partiellement. Certaines archives n’ont pas été dépouillées, notamment à Gênes, au Vatican et peut-être d’autres archives franciscaines.
Selon certaines thèses, Les Giovannali seraient des Cathares réfugiés dans les montagnes corses, un siècle après leur extermination en Languedoc et en Provence. Pour d’autres, les Giovannali sont des Fraticelli, c’est à dire des Franciscains dissidents, comme ceux évoqués dans le roman d’Umberto Eco, « Le nom de la Rose ». Leur succès, en Corse vient peut-être de la proximité, dans le temps et dans l’espace, L’Alesani, avec le mouvement social et politique de la terre « Terre des Communes ». C’est en tout cas un champ ouvert pour les recherches futures.
- Extrait de la brochure sur les Giovannali disponible auprès de la mairie. Parution Communauté de Communes de l’Alta Rocca -